Le Kime et le Chi-Mei

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LE KIME

Lors d'un atemi (coup porté sur le corps), le kime correspond à la brève et intense libération de l'énergie sur le point d'impact. C'est l'ensemble des actions et attitudes qui interviennent dans la dernière phase du mouvement, peu avant l'impact et maintenus un peu au-delà; et qui font donc pénétrer l'énergie développée par le coup dans la cible. C'est la phase d'efficacité d'une technique, aussi pourrions-nous dire du kime qu'il est une énergie pénétrante.

Ce qui caractérise le karatéka, c’est l’alternance de gestes extrêmement rapides, le plus souvent rectilignes, et de brefs moments d’immobilité totale (entre un dixième et une seconde environ). C’est cet arrêt net et précis à la fin de chaque technique obtenu grâce à une forte contraction musculaire qui est nommé kime.

Le kime en karaté est souvent accompagné d'un kiai, qui est l'extériorisation de toute cette concentration interne explosant momentanément. Il s'agit d'un cri intense et bref, partant du ventre. C'est la manifestation sonore d'une attention physique et mentale rendue à son paroxysme, l'affirmation de la volonté inébranlable de vaincre. Il est expression d'efficacité, mais aussi une source supplémentaire, car il ne manque pas de troubler l'adversaire pendant une fraction de seconde, davantage si sa concentration est faible.

 

  • Le kime garantit l’efficacité de l’atemi.

L’énergie cinétique (E) d’un mobile est égale à la moitié du produit de sa masse (m) par le carré de sa vitesse (v). Soit : E = ½mv2. C’est pourquoi, en karaté, nous travaillons inlassablement notre vitesse et mobilisons, autant que faire se peut, le corps entier sur chaque technique (la poussée du hara vers l’avant en tsuki ou geri). Mais que se passe-t-il au moment de l’impact ? Imaginons deux objets de forme identique et de même poids animés de la même vitesse ; l’un est en acier très épais mais creux, l’autre est en caoutchouc. Ces deux mobiles dont les énergies cinétiques sont identiques vont-ils causer les mêmes dommages en cas de collision avec un obstacle ? Évidemment non ! le caoutchouc va faire office d’amortisseur : sa déformation va dissiper une part notable de l’énergie totale. Alors que l’acier, indéformable, va démolir la cible, le caoutchouc va s’écraser puis rebondir dessus. Le corps du karatéka peut se comparer à ces deux mobiles. Lors du kime, la contraction de l’ensemble des muscles transforme le corps en un bloc solide et l’énergie développée par la technique se propage intégralement dans la cible. A contrario, un relâchement, même partiel, introduit de multiples zones d’absorption d’énergie comme dans les modernes carrosseries de nos véhicules automobiles ; la cible ne reçoit qu’une fraction de l’énergie.

  • Le kime permet une grande précision.

À l’impact, la contraction simultanée des muscles agonistes (qui créent le mouvement) et des muscles antagonistes (qui s’opposent au mouvement) fige le geste dans une position très précise. Lors d’une frappe du poing dans le vide, on observe parfois un tremblement d’une dizaine de centimètres d’amplitude latérale quand le kime n’est pas parfait, or l’efficacité exige une précision de l’ordre du centimètre, voire moins. De plus, un kime correctement exécuté permet de moduler la pénétration de l’atemi, donc les effets de celui-ci.

  • Le kime assure la stabilité.

En aïkido, de nombreuses techniques s’exécutent sur un adversaire qui attaque avec oï tsuki (coup de poing en avançant). Cependant, les aïkidokas pratiquent presque tous oï tsuki sans kime. Utiliser ce mouvement en l’amplifiant pour projeter Tori (l’attaquant) est ainsi très facile, mais sur un oï tsuki de karatéka, rapide et avec un solide kime, seuls les véritables experts parviendront à réaliser une projection. En effet, dans la pratique habituelle du tsuki d’aïkido, Tori est vulnérable sur toute la trajectoire de son attaque et même après. Avec kime, seule la fraction de seconde précédant l’impact offre une opportunité à l’adversaire ; ensuite, Tori est indéracinable.

  • Le kime induit une conviction sans faille.

Le kime n’est pas un réflexe naturel. Pour que le kime s’exprime, il faut le vouloir. Au dojo, le karatéka qui recherche le maximum d’efficacité (le chi-mei) conjugue simultanément l’ensemble de ses capacités physiques et psychiques : l’intégralité du ki (l’énergie fondamentale) est dirigée vers l’objectif. Dans la plupart des sports l’entraînement est essentiellement physique. L’entraînement traditionnel de karaté, compte tenu de cette recherche du chi-mei, intègre en permanence le mental et le physique dans une même dynamique. Ainsi la sollicitation physique du karatéka dans le cadre d’une agression mobilise automatiquement ses capacités mentales car la réalisation d’une technique se fait instinctivement avec le soutient total de la sphère psychique. À l’inverse du sportif lambda, le karatéka est toujours prêt.

  • Le kime évite des blessures articulaires.

Lors des premières séances de tsuki, les débutants se blessent parfois le coude. Le poing, lancé vers l’avant, entraîne la bras dans une extension complète et l’articulation du coude arrive en butée, aidée parfois en cela par le blocage adverse, ce pour quoi il n’est pas conçu. Un bon kime juste avant l’extension complète du bras évitera ces douleurs invalidantes. Bien pratiqué, notamment avec un bon kime, le karaté ne doit occasionner aucune lésion de l’appareil locomoteur.

  • Le kime évite de se faire contrer trop durement.

De nombreux combattants ont subit la douloureuse expérience du K.O. respiratoire. Aucune conséquence fâcheuse, mais ça fait mal. Un kime défaillant n’a pas permis une bonne contraction de la sangle abdominale et la technique adverse est venue bousculer les organes, déclencher un spasme du diaphragme et, bien sûr, bloquer la respiration. Le karatéka confirmé ne devrait plus subir cet inconvénient.

  • Apprentissage du kime.

La technique oï tsuki en zen kutsu dachi est parfaite pour apprendre à produire un solide kime car celui-ci ne se résume pas à ce qui ce passe à l’instant du choc : décontraction au départ (sauf les abdominaux), accélération brutale (poussée sur le pied arrière, traction du pied avant), position stable (pieds de part et d’autre de l’axe, pointés vers l’avant, jambe arrière tendue), synchronisation du coup de poing avec la fin du déplacement (l’instant où le pied avant s’enracine dans le sol) et contraction simultanée, intense et brève, de l’ensemble des muscles nécessaires à une poussée vers l’avant.

Notons deux points essentiels : la rotation du poing à l’impact et le hikite.

Tourner les phalanges vers le sol pendant les derniers centimètres de la trajectoire du tsuki permet d’éviter au coude de s’écarter du corps ; un coude qui s’écarte est plus visible pour l’adversaire et il fait perdre de la puissance. La rotation elle-même entraîne la contraction de l’avant bras et le solidarise avec le poing ; on évite ainsi les entorses du poignet. Durant toute la trajectoire strictement rectiligne, le poing doit rester aligné avec l’avant-bras (position des pompes sur les deux kento, index et majeur). Attention au mouvement de fouetté de type uraken remontant qui donne une sensation de kime mais place le poignet dans une position de fracture potentielle sur une portion assez longue de la trajectoire.

Le hikite (tirer le poing en arrière) est constitué d’une rotation brusque du poing, phalanges vers le haut, lorsqu’il arrive à la hanche et d’un mouvement du coude que l’on ramène dans le plan sagittal, ce qui provoque la contraction des muscles dorsaux. Tsuki et hikite doivent être parfaitement simultanés. Le kiaï renforcera la contraction abdominale. Le kime dépend de la parfaite synchronisation de tous ces éléments. Le poing qui exécute le hikite vient se placer juste au-dessus de la hanche, position qui offre une excellente protection des côtes flottantes.

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LE CHI-MEI

Les arts martiaux ont été conçus à des fins d’autodéfense (goshin) et restent imprégnés de leur vocation initiale. La victime d’une agression dispose d’une fraction de seconde pour surprendre et éliminer son agresseur même si celui-ci dispose d’un avantage physique. En effet, lorsque l’agresseur agit, son esprit est mobilisé par la conduite de son action, elle-même motivée par des mobiles inavouables, et s’il attaque c’est qu’il est persuadé de sa supériorité. Il est donc loin d’avoir l’esprit libre et tranquille (mizu no kokoro). Un esprit encombré est inapte à l’observation, à l’analyse et au choix de la bonne décision. Paradoxalement, l’agresseur qui se croit fort est en réalité dans un état de relative faiblesse. Ainsi la victime a-t-elle l’opportunité de renverser la situation à son avantage si elle utilise judicieusement ces brefs instants où les défauts de la cuirasse sont exploitables. Par contre si l’assaillant n’est pas immédiatement neutralisé, un combat va s’engager et là l’avantage de la surprise aura disparu. Un atemi unique et décisif entraînant K.O. ou invalidité fonctionnelle constitue donc la meilleure réponse à l’agression violente. De plus, c’est la seule solution réaliste lors d’une attaque perpétrée par plusieurs individus ; si vous consacrez trop de temps à la maîtrise d’un adversaire, le combat est perdu d’avance.

Cette technique porte un nom, chi-mei, littéralement coup mortel, one-shot. Le kime est indissociable de celui-ci. De fait, le chi-mei exige une technique parfaite, une précision absolue, un timing impeccable, une inébranlable détermination et une puissance explosive que seul le kime peut conférer.

C'est un des buts philosophiques de cet art martial que de parvenir à maîtriser son esprit dans cet élément. L'esprit doit demeurer concentré, prêt à saisir toute occasion, la fraction de seconde de déconcentration dans le regard de l'adversaire, le changement de distance, l'erreur de «timing», etc. Le combat est l'aboutissement de tous les efforts investis dans la technique au dojo et le test de l'efficacité réelle du karaté.

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